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mardi 17 mai 2011

Loi sur les gaz et huiles de schiste : le manque d’ambition d’un texte au service des industriels.

L’Assemblée nationale a validé mercredi 11 mai la proposition de loi visant à encadrer l’extraction des gaz et huiles de schiste.

Unanimes sur la nécessité d’interdire de manière simple et définitive l’exploration et l’exploitation de ces ressources, ainsi que d’abroger les permis déjà délivrés, les propositions de loi initialement déposées semblaient démontrer une véritable prise de conscience de la part de nos députés de l’indéniable risque environnemental causé par leurs ces activités.

Si pour Nathalie Kosciusko-Morizet, "l'assemblée nationale a voté un texte capital dans la nuit de mardi dernier", celui-ci ayant selon elle pour effet d’"interdire l’extraction du gaz de schiste sur le sol français", la réalité semble tout autre : le texte finalement adopté par nos députés marque un recul net de l’ambition initiale de la loi, bien loin des grandes annonces formulées de tout bord au début du mois d’avril.

En réduisant le débat à une question de technique d’extraction, par la simple interdiction de la fracturation hydraulique, et donc en envisageant la question qu’à court terme, nos députés ont clairement choisi d’ignorer la dimension première du problème qu’est l’idée même de recourir à ces ressources. Portant, les Amis de la Terre n’ont cessé de le répéter depuis de nombreux mois : la crise climatique nous interdit simplement d’extraire ces ressources. Rappelons en effet que les émissions de gaz à effet de serre provenant de la production des hydrocarbures non conventionnels sont nettement supérieures à celles des ressources fossiles traditionnelles.

Par ce texte, nos députés ont pris le parti de ne supprimer qu’un symptôme plutôt que de traiter le mal plus profond qui ronge notre société : la dépendance aux énergies fossiles et l’absence de prise de conscience de notre nécessaire transition énergétique, alliant sobriété et efficacité énergétique ainsi qu’un recours massif aux énergies renouvelables.

Lors de l’Assemblée générale des actionnaires de son groupe le 13 mai dernier, Christophe de Margerie, PDG de Total, a tenu à délivrer un message clair : la loi ne sera nullement un frein à l’appétit de son entreprise pour les gaz et huiles de schiste sur notre territoire. Titulaire d’un permis d’exploration dans le Sud de la France, le géant pétrolier reconnait ouvertement la faiblesse de ce texte, très peu contraignant pour lui et ses concurrents.

Devant les 4000 actionnaires présents, M. de Margerie a ainsi déclaré : "ce qui a été voté n’exclut pas la compagnie de leur droit minier. [...] Le texte est habile. On va s’en sortir et trouver une solution dans les années a venir. [...] Il faut rester low profile en cette période.[...] On reviendra sur scène et expliquer qu’on ne peut pas utiliser que le soleil et les oiseaux. Nous faisons des recherches avec Cheasapake[1] pour améliorer le processus de fracking[2]."

Aucune définition formelle de la fracturation hydraulique n’est en effet apportée dans ce texte de loi, qui va même jusqu’à autoriser le recours à cette technique à des fins d’expérimentation.

Ces déclarations illustrent bien les nombreuses lacunes du texte de loi, qui se refuse à abroger d’office les permis délivrés à ce jour, comme l’avait pourtant demandé publiquement le premier ministre François Fillon et comme le prévoyaient les différentes propositions de loi. Le texte finalement voté, sans le soutien de l’opposition, mais se contente de repousser cette question à plus tard.

Autre préoccupation : le champ d’application de cette loi se veut extrêmement restrictif, se contentant d’aborder la question des gaz et huiles de schiste sur notre territoire alors que des amendements novateurs avaient été déposés sur des thématiques indéniablement liées. Exit donc tout débat sur l’exploitation des sables bitumineux ou sur les forages en eaux profondes, ou encore sur la responsabilité des société-mères sur leurs filiales à l’étranger[3].

Lors de cette même Assemblée générale, Eriel Tchwekie Deranger, de l’Athabasca Chipewyan First Nation, une communauté indigène au Canada, a interpellé le PDG du géant pétrolier sur la catastrophe environnementale et sociale causée par son l’exploitation des sables bitumineux dans la région de l’Alberta par Total. M. de Margerie s’était violemment emporté, déclarant "Faites changer les lois de votre pays et ne venez pas nous faire un cours !".

Cette déclaration reflète l’incapacité de Total à apporter une réponse aux populations affectées concernant les impacts irréversibles de ses activités sur leurs conditions de vie et sur leur environnement. Elle contient d’autre part un message important : les multinationales ne se réguleront jamais d’elles-mêmes et n’assumeront pas leurs responsabilités sociales et environnementales si on ne les y contraint pas. C’est donc à nos députés et sénateurs de construire dès aujourd’hui un cadre juridique ferme, opposant des restrictions sévères aux activités des grands groupes pétroliers, aussi bien sur notre territoire qu’à l’étranger pour les filiales d’entreprises françaises.

La Coordination nationale des collectifs et associations contre les gaz et huiles de schiste, dont les Amis de la Terre sont membres actifs, exprime donc son désaccord complet avec les orientations votées par ce texte. Les solutions proposées ne sont en aucun cas à la hauteur des préoccupations de nos citoyens et s’acharnent à morceler le problème global de l’avenir énergétique de notre société.

A ce titre, la Coordination nationale des collectifs et associations contre les gaz et huiles de schiste, dont les Amis de la Terre sont membres actifs, appele au maintien de la mobilisation afin d’interpeler nos élus sur l’urgence de la situation. La présentation du texte le 1er juin au Sénat sera ainsi l’occasion pour nos représentants de choisir leur camp : justice sociale et environnementale ou lobby pétrolier !



[1] Entreprise Américaine, deuxième plus gros producteur de gaz naturel aux Etats-Unis et très active en matière de gaz de schiste.

[2] Autre nom de la fracturation hydraulique.

[3] Total compte actuellement plusieurs projets d’exploration et d’exploitation de gaz et pétroles non conventionnels à l’étranger, notamment au Canada, à Madagascar, aux Etats-Unis, en Argentine, au Danemark, en Algérie et en Chine.

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