Au cœur d'un débat énergétique plus vivace encore depuis la catastrophe de Fukushima, la question des huiles de schiste a désormais fait surface dans le sillage de la polémique sur les gaz issus de formations rocheuses analogues. C'est vers la région parisienne que se concentre actuellement l'attention des observateurs. En effet, si la présence d'hydrocarbures en Ile-de-France est connue de longue date, le perfectionnement des techniques de forage permet aujourd'hui d'envisager l'exploitation des pétroles dits « non conventionnels » dont font partie les huiles de schiste. Au-delà d'un gisement pétrolier modeste de 10.000 barils/jour - soit 0.5% de notre consommation nationale - les sédiments franciliens pourraient recéler entre 60 et 100 milliards de barils d'huiles de schiste à en croire un chiffre avancé par l'Institut Français du Pétrole par compilation de plusieurs études sur le sujet.
Fracturation hydraulique
Techniquement, les problématiques liées au gaz et aux huiles de schiste ne sont pas très éloignées. Contrairement au pétrole ou au gaz naturel contenus dans des poches géologiques naturelles, l'extraction des huiles (et gaz) de schiste exige de facturer la roche qui les contient pour les en libérer. Contrairement ensuite à d'autres activités minières faisant appel à des procédés essentiellement mécaniques (forage, creusement de galeries, abattage, etc.), l'extraction des huiles de schiste en appelle aussi à la chimie. En effet, la technique dite de « fracturation hydraulique » nécessite certes l'utilisation de quantités très importantes d'eau mais aussi l'appoint d'adjuvants chimiques nombreux. Une fois la profondeur du gisement atteinte (2 750 mètres environ dans le bassin parisien), l'extraction se fait par injection de ce mélange à très forte pression par forages horizontaux permettant une grande superficie de contact avec le schiste. Toutefois, à l'inverse de l'exploitation des gaz de schiste, l'extraction des huiles éponymes consommerait deux fois moins d'eau et celle-ci serait en outre recyclable.
Dura lex ou soft law ?
Juridiquement, leur traitement n'est pas différencié. Il s'agit dans les deux cas d'hydrocarbures relevant du code minier (v. art. L. 111-1) dont l'ordonnance n° 2011-91 du 20 janvier 2011 codifie la partie législative entrée en vigueur le 1er mars dernier. La partie réglementaire devrait, quant à elle, être publiée d'ici à fin 2011. Pour l'heure, les dispositions réglementaires applicables demeurent donc essentiellement celles du décret 2006-648 du 2 juin 2006 relatif aux titres miniers et aux titres de stockage souterrain. La prospection de ces huiles est ainsi soumise à arrêté du ministre chargé des mines, sans enquête publique (v. c. min. art. L. 122-3 et d. 2006, art. 23). L'exploitation est, pour sa part, autorisée par décret en Conseil d'Etat, avec enquête publique (v. c. min. art. L. 133-2 et L. 133-3 et d. 2006, art. 26). Dans les deux cas, le pétitionnaire est tenu de produire une « notice d'impact indiquant les incidences éventuelles des travaux projetés sur l'environnement et les conditions dans lesquelles l'opération projetée prend en compte les préoccupations d'environnement» (v. d. 2006, art. 17 et 24). Cette exigence est générale. Elle s'applique à l'extraction de toutes les substances minérales ou fossiles visées à l'article L. 111-1 précité. Mais est-elle suffisante ici ?
Cris et chuchotements
Elus locaux et environnementalistes répondent par la négative. Bruyamment et efficacement. Après avoir ferraillé avec succès contre la prospection des gaz de schiste en Languedoc-Roussillon et en Rhône-Alpes, la contestation a gagné le bassin parisien avec les huiles de schiste dans son collimateur. Pas d'enquête publique au stade de la prospection, pas de consultation des maires, défaut d'information quant aux substances injectées « dans le sein de la terre » comme dit poétiquement le code. Les griefs s'accumulent. Un recours a même été déposé devant le Conseil d'Etat aux motifs que l'ordonnance de 2011 méconnaîtrait les engagements communautaires de la France et la Charte de l'environnement adossée à la Constitution. Le code minier est peut-être imparfait mais de là à estimer que la France « brade le sous-sol et ses ressources en simplifiant les procédures et sans prendre les garanties qui s'imposent »… Face à cette bronca, un moratoire de 6 mois sur l'exploration des huiles et gaz de schiste a été décidé en février par le gouvernement. Le gouvernement et le Parlement planchent donc sur le sujet. Les conclusions de l'expertise diligentée par le premier et de la mission d'information lancée par le second sont attendues respectivement les 31 mai et 8 juin 2011.
« Verdissement » du code minier
Si la prévention des pollutions demeure l'apanage du code de l'environnement (v. c. env. art. Livre V), le code minier n'ignore pas, loin s'en faut, la protection de l'environnement. A l'instar des autorisations délivrées au titre du régime des installations classées, la délivrance et le maintien en vigueur des titres miniers sont subordonnés au respect des « caractéristiques essentielles du milieu environnant », à la protection des « ressources naturelles » et notamment des intérêts visés par la loi sur l'eau (v. c. min art. L. 161-1). En aucun cas un titre minier ne peut donc constituer pour son détenteur une licence pour polluer. Et si le code minier a été modifié de nombreuses fois depuis 1956, il l'a été notamment pour y inclure les exigences environnementales de notre temps. In fine, on rappellera que les atteintes au milieu naturel sont pénalement sanctionnées par le code minier (v. c. min. art. L. 512-1 et suiv.) et qu'un arsenal de sanctions administratives existe pour contraindre un exploitant à bien faire, voire le cas échéant, le priver de son titre (v. c. min. art. L. 173-2 et suiv.).
Ni nuisance zéro ni principe de précaution mais déficit d'information
La nuisance zéro n'existe pas. Ni le code minier, ni le code de l'environnement ne prétendent d'ailleurs y accéder. Ce serait illusoire. Ces codes permettent et encadrent certaines activités extractives ou non et ce, dans le respect de l'environnement. Un refus peut donc toujours être opposé par l'Etat, en cas, par exemple, d'incapacité du pétitionnaire à démontrer la sécurité environnementale de son activité. Cela vaut pour les permis de recherches comme pour les permis d'exploitation. Ce n'est pas non plus ici une question de principe de précaution. Evacuons d'emblée ce principe dont la plasticité et la simplicité donnent souvent lieu à de bien opportunes interprétations. Il n'y a pas d'incertitude ici mais tout au plus un déficit d'information. Ce n'est pas la même chose.
Un titre minier est le fruit d'un équilibre délicat entre impératifs et opportunités économiques du moment, sensibilités et exigences socio-environnementales évolutives, et possibilités techniques, enfin. Or, l'acceptabilité d'une activité dépend en grande partie de la qualité de l'information environnementale produite et de sa mise à disposition du public. Information de l'autorité décisionnaire par le pétitionnaire d'abord. Information des parties prenantes (collectivités locales, citoyens, associations) ensuite. Sous cet angle, on objectera que la technique de fracturation hydraulique pourrait justifier, tant au cours de la procédure de délivrance des titres miniers qu'en cours d'exploitation, des évaluations approfondies.
En amont, la procédure pourrait utilement s'inspirer du régime des autorisations loi sur l'eau (v. c. env. art. R. 214-6). C'est d'ailleurs ce que fait déjà le décret de 2006 précité pour les stockages de gaz souterrain de pétrole et de gaz liquéfiés puisque la notice d'impact requise « doit comporter un descriptif des mesures envisagées afin que l'injection du produit [ici le gaz naturel ou le gaz de pétrole liquéfié] soit effectuée de manière à éviter tout risque présent ou futur de détérioration de la qualité de l'eau souterraine réceptrice et qu'elle ne compromette pas la réalisation des objectifs environnementaux fixés pour cette masse d'eau souterraine » (v. art. 24 in fine). Un tel descriptif pourrait exiger, en cas recours aux techniques de fracturation hydraulique, la divulgation de la composition des adjuvants chimiques utilisés.
Pour ce qui est du suivi ensuite de l'impact de l'activité sur les nappes aquifères, le pouvoir réglementaire pourrait calquer son approche sur l'article 65 de l'arrêté du 2 février 1998 relatif aux prélèvements et à la consommation d'eau ainsi qu'aux émissions de toute nature des installations classées pour la protection de l'environnement soumises à autorisation. Celui-ci permet en effet d'imposer aux activités susceptibles d'impacter les eaux souterraines la mise en place de piézomètres fixes de contrôle et la réalisation de d'échantillonnages périodiques. Nul besoin donc de bousculer la partie législative (nouvelle) du code. Ce « toilettage » pourrait intervenir par voie de décret. Avant la fin 2011.
David DESFORGES, Avocat à la Cour, Jones Day, spécialisé sur le droit de l'environnement, le droit minier et sur les risques industriels.
source: Actu-Environnement, 25/03/2011
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